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alcazar451
9 septembre 2005

Rioufol, 9 septembre

Le bloc-notes d'Ivan Rioufol

irioufol@lefigaro.fr - [09 septembre 2005]

Les plaies de la France

C'est entendu, George W. Bush ne s'est pas montré à la hauteur de la situation en Louisiane. L'Administration républicaine n'a pas su faire face aux urgences créées par le cyclone qui a ravagé La Nouvelle-Orléans. Et il est exact que les dévastations de Katrina «ont mis cruellement en lumière les plaies de l'Amérique, ghettoïsation, pauvreté, criminalité, tensions raciales et territoriales» (1). En France, les contempteurs se sont précipités pour accabler le «modèle américain» et le président néoconservateur. Mais ont-ils regardé l'état de leur propre pays ?

Ceux qui s'indignent de la fracture raciale révélée par cette apocalypse – qui a meurtri une population noire et déshéritée – sont les mêmes qui refusent d'admettre que la France risque de se perdre, à cause d'une immigration incontrôlée et d'une insouciance collective. Le tiers-monde, mis à nu dans ces régions du Sud, existe dans des cités françaises et des quartiers de Paris. Et l'indifférence devant ces corps échoués ne peut faire oublier les 15 000 personnes âgées, mortes d'avoir été abandonnées lors de la canicule de 2003.

Aux Américains de tirer le bilan de leurs déficiences. Cependant, il est indécent de laisser entendre, par cette jubilation à décrire une superpuissance humiliée, que la France se serait sortie autrement d'un scénario d'une telle violence. Certes, la compassion aurait été prestement mise en scène (ministres sur le terrain, cellules de soutien psychologiques, communiqués de solidarité). Mais nous partageons les mêmes plaies : ghettoïsation, pauvreté, criminalité, tensions raciales et territoriales. Notre faiblesse est de feindre de l'ignorer.

Choc des images, samedi : tandis que les télévisions montraient des Noirs américains protestant contre l'inefficacité des autorités, des milliers de manifestants d'origine africaine défilaient dans les rues de Paris pour réclamer des logements décents. Plus régulièrement, les faits divers se chargent de rappeler (dernièrement avec l'incendie – 17 morts – d'une tour à L'Haÿ-les-Roses, allumé par quatre jeunes filles désoeuvrées) l'état d'abandon, d'insécurité, voire d'insurrection, de certaines banlieues.

Les beaux esprits, qui réclament la «transparence» concernant l'accident vasculaire cérébral dont a été victime le président de la République, se gardent d'une même exigence s'agissant de la France malade. Ils sont les premiers à applaudir, au contraire, aux tours de passe-passe, trompe-l'oeil et autres duperies destinés à faire gober que les banlieues sont calmes, que l'école remplit sa mission, que la cohésion sociale est acquise, le modèle français opérant, le déclin une lubie, et tutti quanti.

Exemple d'une supercherie : cette réflexion de Jack Lang, entendue dimanche chez Ardisson (France 2) : «Il est une vérité que l'on cache aux Français : le pourcentage d'immigrés en France est le plus faible d'Europe.» Littéralement, le candidat à l'Elysée n'a pas tort : le pays compte, depuis 1975, environ 6% d'étrangers. Mais ce que Lang ne dit pas, c'est que les immigrés – il en arrive 300 000 par an – ne sont évidemment plus comptabilisés comme tels dès lors qu'ils ont obtenu la nationalité française. A quoi bon ce jeu de bonneteau ?

En attendant la «rupture»

La morale, dont se réclament les «consciences», exige la vérité. Elle est ridiculisée lorsque des démographes ou des politiques soutiennent, contre l'évidence mais sans être contredits, qu'il n'y a pas d'immigration de masse en France (2) ou que des médias assurent, sur la foi de commentaires orientés, que l'intégration ne rencontre pas de difficultés. Ce n'est pas succomber à la «société de la peur» (3) – il serait plus utile de dénoncer la «société du mensonge» – que de demander aux vigies qu'elles cessent de voir ce qu'elles croient pour qu'enfin elles croient ce qu'elles voient.

A ce propos, il me faut revenir sur l'enquête du Centre d'étude de la vie politique française (Cevipof) sur les Français musulmans, évoquée la semaine dernière. C'est par erreur que j'ai écrit – citant un journal du soir – que seul un tiers des sondés désapprouvent la phrase : «Un musulman doit suivre les principes coraniques, même s'ils s'opposent à la loi française.» En fait, ils ne sont qu'un tiers à l'approuver. Mais le questionnaire fait apparaître que 42,5% se sont abstenus de donner un avis. Ce qui n'illustre pas l'élan décrit vers la francité.

Les nombreux soutiens que j'ai reçus cette semaine suite au «Bloc-Notes» sur la crise existentielle que connaît la France, illustrent combien la question nationale est au coeur des préoccupations. L'émergence de ce thème s'accompagne d'ailleurs d'une redécouverte des religions, dont 78% des Français pensent qu'elles constituent un besoin essentiel de l'homme, selon un sondage révélé mercredi par Le Monde des religions. Ces préoccupations identitaires, parfaitement respectables, viennent contredire le discours dominant, tout à l'éloge du mélangisme.

Aussi est-il navrant de constater que la droite parlementaire, si soucieuse du qu'en-dira-t-on, n'arrive toujours pas à se saisir de ce sujet qui lui revient. Quand Nicolas Sarkozy, dimanche à La Baule, fait devant l'UMP l'inventaire de trente ans de crises (politique, sociale, économique) à ne plus «minimiser» en se gardant d'évoquer la crise identitaire à l'origine du 21 avril 2002 (Le Pen au second tour de la présidentielle) et du 29 mai 2005 (rejet de la Constitution européenne), sa politique de «rupture» perd en audace.

La «droite aux yeux crevés» (François Mauriac) ne peut continuer à se laisser déposséder par le Front national de tout ce qui a trait à la nation et à sa protection. Le choix du FN d'un repliement nationaliste justifie de le combattre sur ce terrain sans issue : la France ne peut vivre dans une société figée et fermée. Mais il faut en finir avec l'enfantillage consistant à rétorquer blanc quand le FN dit noir, au prétexte de s'offrir à bon compte une respectabilité «citoyenne». Cette pensée mimétique interdit à la droite d'être elle-même.

La droite en quête d'identité

Villepin ou Sarkozy ? La compétition élyséenne est ouverte. Pour avoir douté ici, en juin, de la capacité de Dominique de Villepin à gagner la confiance d'un peuple excédé par la déconnexion de ses élites, je ne peux que reconnaître, avec beaucoup d'autres, que le premier ministre a su s'affirmer en cent jours comme un homme d'Etat pondéré et habile. Cependant, s'il est devenu un concurrent pour le ministre de l'Intérieur, il reste celui qui ne se résout pas à remettre en question le «modèle social français» et qui continue de plaider pour une entrée de la Turquie dans l'Union européenne : un «progressisme» plombant.

Nicolas Sarkozy partage avec lui cet autre handicap d'avoir été de ceux qui auront fustigé le camp du non à la Constitution, en mêlant leurs voix à la gauche la plus conformiste. Se devine encore, dans la préoccupation du président de l'UMP à ne pas apparaître «réactionnaire», le complexe d'une droite pusillanime. Néanmoins, Sarkozy semble bien décidé à la sortir de sa léthargie, en apportant un projet alternatif à l'inefficace modèle social, qui fait fuir les plus entreprenants et appauvrit le peuple.

En annonçant, mercredi, sa volonté de réformer l'intouchable impôt sur la fortune, le candidat à l'élection de 2007 a franchi un des obstacles empêchant jusqu'alors son parti de s'assumer dans le libéralisme. Un lecteur, J.-M. Ollier, m'envoie cette semaine un texte de l'ancien président américain Abraham Lincoln, qui pourrait inspirer la suite de son programme. Extraits : «(...) Vous ne pouvez pas donner la force au faible en affaiblissant le fort. Vous ne pouvez pas aider le salarié en anéantissant l'employeur. Vous ne pouvez pas favoriser la fraternité humaine en encourageant la lutte des classes. Vous ne pouvez pas aider le pauvre en ruinant le riche. Vous ne pouvez pas éviter les soucis en dépensant davantage que le gain. Vous ne pouvez pas forger le caractère et le courage en décourageant l'initiative et l'indépendance (...)».

Ecole : mauvais points

A propos des propagandes sur l'état de la France évoquées plus haut, qui n'ont rien à envier aux pratiques observées dans les pays totalitaires, en voici une qui s'effondre sous le poids des réalités. Il s'agit de l'école, dont Jack Lang a pu dire – autre boniment – qu'elle était parmi les meilleures du monde, en dépit des témoignages de nombreux professeurs s'alarmant du niveau atteint. Cette fois, ce sont les Français eux-mêmes qui critiquent l'Education nationale. Selon un sondage TNS-Sofres rendu public vendredi dernier, 51% des personnes interrogées trouvent que l'école fonctionne mal, et 57% estiment que le niveau des élèves baisse. En fait, c'est toute la mission de l'éducation, qui ne sait plus transmettre le savoir ni le patrimoine français, qui est à repenser. Mais personne ne se bouscule.

Droit au secret

Faut-il davantage de transparence sur l'état de santé du président de la République, hospitalisé depuis près d'une semaine ? Le choeur des commentateurs l'exige au nom du droit de savoir. Mais ce droit flexible – il s'accommode très bien des contre-vérités sur la réalité du pays – n'autorise pas de faire le jeu d'une société voyeuriste et superficielle, qui a fait de la vie privée des «people» son centre d'intérêt. Jacques Chirac ne peut mentir sur sa santé, comme l'avait fait François Mitterrand. Mais la dignité de sa fonction, le respect de sa personne, sans parler de la simple décence, justifient la préservation de son intimité. Face à la Tyrannie de l'impudeur (4), le droit au secret est légitime.

11 Septembre : l'anniversaire

Il y a quatre ans : le 11 septembre 2001, des terroristes frappaient New York et Washington au nom d'Allah. Depuis, l'Europe, un temps solidaire, s'est empressée d'oublier qu'une nouvelle guerre mondiale a été déclarée ce jour-là contre l'Occident et les démocraties. Saddam Hussein, bourreau de son peuple et soutien des bombes humaines palestiniennes, aura été défendu par une France soucieuse de ne pas écorner sa «politique arabe» et d'assurer sa propre tranquillité. Dimanche à 15 heures, le Mouvement pour la paix et contre le terrorisme se rassemblera au Trocadéro, à Paris, pour rappeler au devoir de résistance contre un totalitarisme en marche.

(1) Agence France Presse, 5 septembre 2005. (2) Bloc-notes du 22 juillet 2005. (3) Christophe Lambert, Ed. Plon. (4) De l'auteur, Ed. Anne Carrière (2000).

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